Depuis 2014, l’Open Style Lab (OSL) de New York poursuit sa mission :
– Sensibiliser la société à l’inclusion
– Promouvoir le Style comme un droit humain universel
– Diffuser l’expérience du co-design avec les personnes en situation de handicap.
Grace Jun, cofondatrice et codirectrice, était l’invitée d’ASA-Handicap mental le 24 septembre 2020 au Colloque Tu es canon. Pour un manifeste de la mode inclusive. Elle nous a fait part de son engagement et des stratégies développées par l’OSL pour atteindre ces buts.
« En tant que professeure assistante à la New School, Parsons School of Design de New York, je ne regarde pas seulement le monde à travers les manuels et les programmes. Je m’interroge vraiment sur ce qui apporte du sens et sur ce qui vaut la peine d’être appris. Cette question du sens, et mon intérêt pour les gens, sont le fil rouge de mon parcours.
Avec mes étudiants en design de mode, je partage la pratique et la recherche de l’OSL.
Par exemple, mes étudiants ont passé un semestre entier à concevoir des vêtements ensemble avec Peter, danseur talentueux, qui a joué un rôle de mentor en partageant son expérience de la paralysie cérébrale.
De différentes manières, j’enseigne constamment à la Parsons School la collaboration avec des personnes en situation de handicap, même si parfois il s’agit plus d’un processus de réflexion que d’une démarche avec un résultat concret.
Le style, la mode, sont des formes de l’expression humaine parmi les plus anciennes. Si cette conviction m’a amenée à enseigner le design de mode dans l’une des écoles les plus prestigieuses du monde, j’ai toujours voulu lier cette recherche esthétique à un objectif pratique de justice sociale, pour améliorer le lien entre les différentes communautés dont la société est composée.
La mission de l’Open Style Lab, lauréat du Smithsonian National Award, National Design Award, consiste à rendre le style accessible à toutes et tous, quelles que soient les spécificités cognitives ou physiques de chacun.e.
Notre équipe est dirigée par des femmes et nous considérons la recherche de l’accessibilité et l’inclusion comme une pratique essentielle de nos vies professionnelles et personnelles.
Dans le monde, une personne sur cinq vit avec une forme de handicap. Notre mission est essentielle pour les personnes qui sont marginalisées dans notre société parce que l’environnement ou le design ne tiennent pas compte de leurs capacités particulières.
Nous nous sommes données comme mission de sensibiliser la société à l’inclusion et de promouvoir le style comme un droit humain fondamental. Nous constatons constamment que la société ne comprend pas en quoi les vêtements représentent un obstacle pour les personnes en situation de handicap. Et comment, grâce à l’habillement et à l’expression de soi, on peut avoir une meilleure qualité de vie.
Un exemple : s’il vous faut 30 minutes pour boutonner votre chemise, est-ce que c’est lié à vous ou au fait que la chemise n’a pas été conçue pour être adaptée à une dextérité différente, ou à une paralysie ? Le style pourtant est essentiel pour tout le monde, et je préfère le terme de style au terme de mode, parce que le style est une expression de soi, et tout le monde a le droit fondamental de s’exprimer.
La mode est une expérience de conception partagée, et cette notion est au centre de nos programmes éducatifs. Nous croyons que la mode a le pouvoir d’éliminer la stigmatisation qui touche les personnes handicapées.
Nous n’envisageons pas la collaboration avec ces personnes comme une œuvre de charité, mais comme une expérience d’apprentissage mutuel. Nous pouvons tous apprendre de cette communauté.
Pour y arriver, nous collaborons avec des designers, des ingénieurs, des thérapeutes, ainsi qu’avec les patient-e-s des centres de réadaptation de longue durée. Et également avec des groupes de personnes vivant avec un certain type de handicap, comme les lésions de la moelle épinière.
Outre la Parsons School, nous avons des partenariats et collaborons avec le MIT (Massachussets Institute of Technology) et d’autres écoles du monde entier. Nous y donnons des cours qui favorisent la réflexion sur ces sujets, mais aussi des ateliers pour sensibiliser les créatifs émergents.
J’ai réalisé que nos expériences peuvent être conçues de manière à inclure tout le monde. Cela m’est clairement apparu lorsque nous avons collaboré en 2019 avec des jeunes adolescentes handicapées, à l’initiative de l’organisation « Women with disabilities ».
Ces jeunes filles n’avaient pas accès à une éducation dans les domaines des arts, des sciences, des maths et de la technologie. Nous avons utilisé la mode comme un moyen de rendre ces choses intéressantes. Dans le domaine de la mode, vous devez maîtriser des concepts comme les mensurations, mais aussi les angles et les formes.
Nous avons examiné comment, au lieu de fabriquer des vêtements ou des accessoires pour ces personnes, nous pouvions les aider à développer leur autonomie et à évoluer.
Nous avons donc travaillé avec ces jeunes filles à la création d’un ensemble d’outils leur permettant d’adapter leurs propres vêtements, en ajoutant par exemples des poches. Cela leur a permis d’avoir des endroits accessibles pour ranger leurs affaires, parce que souvent les poches sont placées dans une partie du vêtement qui n’est pas accessible si vous êtes assis sur un fauteuil roulant ou que vous marchez avec des béquilles.
Pendant la pandémie, nous avons développé un programme pour adapter les vêtements, à travers des vidéos et des collaborateurs sélectionnés dans le monde entier. Chaque année, nous travaillons avec des groupes de personnes vivant avec un handicap spécifique. En 2020, notre partenaire a été l’Association pour la dystrophie musculaire. Pendant dix semaines, nous avons accueilli environ dix boursier.e.s, issu.e.s de domaines aussi variés que la conception technique ou l’ergothérapie, et nous avons collaboré avec environ quinze personnes atteintes de dystrophie musculaire, jeunes et plus âgées. Ensemble, nous avons examiné différentes manières d’adapter les vêtements.
Malgré ces initiatives, nous savons qu’il reste beaucoup à faire. Les gens doivent se mobiliser et agir. Et pour cela nous avons besoin de créer non seulement un manifeste, mais un nouvel état d’esprit pour qu’à l’avenir la mode soit plus inclusive.
La communication est aussi importante que les solutions immédiates.
La façon dont nous créons des espaces de discussion et racontons une histoire à travers le design est puissante.
À l’Open Style Lab, la communication est au centre de notre pratique. Le simple fait d’écouter des personnes nous raconter leur expérience des vêtements et les obstacles qu’elles rencontrent est extrêmement riche.
Deuxièmement, il faut passer d’un modèle de bienfaisance, d’un modèle caritatif, à un modèle de co-création.
Le thème « mode et handicap » est souvent associé aux publicités montrant des personnes en situation de handicap, ou aux défilés avec des mannequins vivant avec un handicap. On pense qu’il faut obtenir plus de reconnaissance du monde de la mode ou lever plus de fonds. Mais il ne s’agit pas de cela. Il ne faut pas agir dans un esprit de charité. Il faut créer une plate-forme égalitaire où nous pourrons collaborer.
Il s’agit davantage d’équité que d’égalité, car une mesure différente ou personnalisée produit des résultats plus justes qu’une mesure identique pour tout le monde [1]. Cela renvoie au système de représentation proportionnelle par rapport aux classes sociales, aux genres ou aux origines ethniques.
Au final, il s’agit de voir les obstacles comme des opportunités plutôt que comme des impasses.
Je vois chaque obstacle à l’accessibilité comme une chance de concevoir un design adapté.
Nous avons par exemple appliqué ces principes à l’occasion d’une collaboration avec IKEA, qui a fait appel à nous pour évaluer une ligne de meubles destinée aux personnes âgées. Comme il y a beaucoup de similitudes entre le vieillissement et le handicap, nous avons convié notre équipe et la communauté des personnes handicapées pour un hackathon de trois jours au Chelsea Market, où nous avons démonté certains de ces meubles et réfléchi autour de ce qu’IKEA propose comme style de vie pour ce public.
Cette démarche est tout à fait pertinent avec la question de l’inclusion des personnes handicapées et de la mode en général, car ça parle de la mode dans votre espace, de la mode dans votre robe. La mode va au-delà de votre corps et de vos vêtements, car pour de nombreuses personnes handicapées, le corps fait également partie d’un écosystème plus vaste. Par exemple, le fauteuil roulant est une extension du corps, l’aménagement qui vous entoure lorsque vous vous habillez et vous déshabillez conditionne le choix des habits que vous portez.
En conclusion, je vois la nécessité d’un changement plus important. Je pense que nous devons amener les générations futures à prendre conscience de ce qui nous entoure, nous devons leur apprendre à façonner notre environnement de manière à ce qu’il soit en accord avec nos valeurs. Quand on considère l’inclusion à travers le prisme de la mode, on réalise qu’elle est un moyen d’exprimer toutes nos capacités, besoins et personnalités uniques. »
Traduction de l’anglais : Séverine Hutin
Adaptation : Teresa Maranzano
© ASA-Handicap mental et Open Style Lab
[1] NDT : Pour approfondir la différence entre égalité et équité cfr : Connaître la différence entre l’équité et l’égalité | L’apprentissage en ligne de l’AIGS (sgba-resource.ca)
Un avis sur “Open Style Lab : formation, design et technologie au service de la mode inclusive”