« Aller audacieusement là où tous les autres sont allés ». Cette inscription qui figure sur le T-shirt créé en 1990 par le collectif d’activistes handicapés The Disabled People’s Direct-Action Network décrit bien l’esprit de l’exposition « Design and Disability », qui se veut à la fois une célébration et un appel à l’action.
Cette exposition, à voir au V&A Museum jusqu’au 15 février 2026, rassemble des projets, des produits et des photographies conçus par des personnes handicapées, sourdes et neurodivergentes, entre les années 1940 et nos jours. De la mode à l’architecture en passant par le design, 170 objets répartis en trois sections (Visibilité, Vivre et Outils) racontent les innovations, les expérimentations et les revendications d’une communauté longtemps restée silencieuse qui demande aujourd’hui à être vue et entendue.
Ce n’est pas un hasard si la plupart des vêtements et des accessoires sont présentés dans la catégorie de la visibilité, car la mode permet de dépasser l’invisibilité qui caractérise le monde du handicap. Ses provocations révèlent non seulement des besoins, mais aussi des désirs, comme celui de porter des talons hauts avec des prothèses. C’est le cas de The High Heel Project de l’artiste japonaise Mari Katayama qui revendique, en tant que femme aux membres amputés, la possibilité de choisir ce qu’elle veut porter. Ce désir a abouti à la production d’une paire de chaussures sur mesure en collaboration avec l’entreprise italienne Sergio Rossi.
Le vêtement choisi pour véhiculer la communication de l’exposition a été réalisé par l’activiste Sky Cubacub, fondateur de la marque Rebirth Garment, qui depuis 2014 crée des vêtements pour les personnes queer et handicapées, pour tous les âges et pour toutes les tailles, revendiquant la liberté de choisir son style également à travers le manifeste Radical Visibility : a Queercrip Dress Reform Movement Manifesto.
Parmi les vêtements les plus emblématiques présentés dans l’exposition, mention spéciale pour la robe de la styliste Maya Scarlette, qui vit avec une ectrodactylie, une différence des membres affectant les doigts et les orteils. Il s’agit d’un costume minimal, composé d’un tissu résiné blanc et argenté qui crée un effet mouillé, recouvrant partiellement le corps et les parties intimes. Il est inspiré de la Naissance de Vénus de Sandro Botticelli et a été présenté au carnaval de Notting Hill en 2024. C’est une robe manifeste que la créatrice a choisi de porter pour revendiquer de nouvelles normes de beauté dans le cadre d’un événement collectif.
Les handicaps invisibles sont révélés par des accessoires particuliers, souvent excessifs. Les aides auditives conçues par la créatrice finlandaise Jenni Ahtiainen avec sa marque Deafmetal deviennent des bijoux à porter avec fierté, dans lesquels la perte auditive devient une occasion pour inventer de nouveaux langages, générant des solutions innovantes pour les besoins spéciaux.
L’exposition présente également le premier défilé de mode audiodécrit créé pour les personnes aveugles ou malvoyantes à l’occasion du défilé printemps-été 2025 de la créatrice de mode irlandaise Sinéad O’Dwyer pour la Semaine de la mode de Copenhague. Toujours engagée dans la représentation de toutes les morphologies et les origines culturelles, elle a reçu le prix Zalando Visionary Award en 2024.
Dans l’exposition on retrouve aussi la photographie d’une robe peinte par l’artiste Ntiense Eno-Amooquay, membre du collectif britannique Intoart qui soutient les artistes handicapés en favorisant leur développement et leurs opportunités.
La créatrice de mode et personne de petite taille Kathy D. Woods expose la robe portefeuille à imprimé léopard fabriquée par la marque qui porte son nom. Fondée en 2014, elle vise à servir une communauté que la mode a tendance à infantiliser. Le vêtement exposé a été créé sur le mannequin façonné par l’activiste et petite personne Sinéad Burke, qui a fait don de la robe.
L’exposition présente de nombreux exemples de mode adaptée : des chaussures Fly Easy de Nike aux Crocs en passant par la marque britannique Unhideen.
Une partie est consacrée à l’autoreprésentation des personnes handicapées à travers des campagnes et des séances photo, y compris une section rassemblant des fanzines, des podcasts et des récits provenant directement de la communauté.
L’exposition présente également les couvertures du magazine Glamour, avec le numéro « Self Love » de 2023, consacré à trois activistes handicapés, Caprice-Kwai Ambersley, entrepreneur et mannequin, Ellie Darby-Prangnell, fondatrice du fanzine Look Deeper et Shelby Lynch, influenceuse de mode. Et le numéro spécial de British Vogue « Reframing Fashion » de 2023, aussi dans son édition en braille, avec l’histoire des 19 personnes handicapées, co-réalisée par l’organisation Tilting the Lens de Sinéad Burke.
L’exposition, comme le rappelle la commissaire Nathalie Kane, elle-même handicapée, fonctionne aussi comme un incubateur, un modèle expérimental de réflexion sur l’accessibilité des musées : de l’autorégulation aux aires de repos, en passant par les guides de différents formats : tactiles, sensoriels, audio descriptifs, en langue des signes. L’objectif est de normaliser tous les dispositifs de visite, avec la certitude que l’élargissement des expériences enrichit les contenus et améliore la communication pour toutes et tous.
Traduit de l’italien par Teresa Maranzano
Relu par Emilie D’Introno-Faviez