Du 7 décembre 2023 au 10 mars 2024, le Costume Institute du Metropolitan Museum of Art (Met) de New-York a présenté Women Dressing Women, une exposition qui retrace l’histoire de la mode à travers septante femmes designers et stylistes, et leurs créations issues de la collection permanente.
Cette exposition aurait dû avoir lieu en 2020 à l’occasion des cent ans du suffrage des femmes. Reportée à cause de la pandémie du covid19, elle revient, trois ans plus tard, chargée d’un contenu encore plus politique. À une époque plus que jamais obsédée par le contrôle social du corps des femmes, elle permet de rappeler la contribution de stylistes oubliées, et de montrer pour la première fois quelques 80 tenues qui n’avaient jamais quittées les dépôts du musée.
Les deux curatrices, Mellissa Huber et Karen Van Godtsenhoven, ont conçu le parcours expositif à travers trois axes thématiques : Anonymat (1685-1900), Visibilité (1900-1968), Agency (1968-2023), et un axe transversal : Absences et refoulements.
L’anonymat a touché des générations des femmes ayant travaillé à l’ombre des grandes créatrices comme Madelaine Vionnet, Coco Chanel, Elsa Schiapparelli, Madame Grès et Rei Kawakubo. Elles ont pourtant contribué à leur succès et il est temps de leur rendre hommage. Parmi les découvertes, on peut mentionner la maison parisienne Premet composée exclusivement de stylistes femmes. Dans les années 20, elles ont anticipé l’invention de la petite robe noire, que Coco Chanel aurait rendu iconique peu de temps après.
En ce qui concerne la visibilité, l’exposition montre que les stylistes le plus en vogue des années 20 et 30 ont été des femmes. Pour Karen Van Godtsenhovenn on continue toutefois à célébrer les grands maîtres comme Dior et Balenciaga, et à oublier les protagonistes féminines qui ont littéralement fait l’histoire de la mode. Ce sexisme, loin d’être enterré, est aujourd’hui à l’origine du choix de confier la direction artistique des principales maisons internationales à des hommes essentiellement blancs : Sabato di Sarno pour Gucci, Séan McGirr pour Alexander McQueen, Matteo Tamburini pour Tod’s, Adrian Appiolaza pour Moschino.
Longtemps, on a célébré le styliste mâle comme l’artiste capable de créer des chefs d’œuvres artistiques et on a relégué les femmes au rôle de créatrices d’habits pratiques, ce qui a amené parfois à des erreurs d’attribution. L’exposition montre à titre d’exemple un habit réalisé en 1925 par la styliste Maria Monaci Gallenga qui a longtemps été attribué à Mario Fortuny.
Dans la section « Agency » on retrouve l’habit de Collina Strada créé par sa fondatrice Hillary Taymour pour la modèle Aaron Philip, dont le Met a récemment fait l’acquisition. Il était présenté sur un mannequin en fauteuil roulant inspiré par la première modèle américaine trans et en situation de handicap. On retrouve aussi la tenue « Going Out » de la marque danoise Customiety, spécialisée dans les solutions pour les personnes atteintes d’acnodroplasia, exposée sur un mannequin créé à partir de la silhouette de l’activiste irlandaise Sinéad Burke. Parmi les autres acquisitions du musée on peut mentionner les habits non genrés de la marque américaine nosesso, fondée par la styliste transgenre Pierre Davis, et les tenues à taille unique d’Ester Manas, adaptées à toutes les morphologies.
Si cette exposition a le mérite de mettre la présence des femmes sur le devant de la scène, elle questionne aussi le rôle qu’elles jouent dans l’industrie de la mode : ont-elles la même visibilité des hommes dans les médias ? Bénéficient-elles d’une égalité de chances ? Ce qui est sûre, c’est que les femmes, ayant longtemps fait et vécu la mode comme une source de libération, font preuve aujourd’hui de plus de respect et d’empathie envers les corps qui sortent du canon. On doit rendre hommage à leur contribution dans le domaine de la mode inclusive.
Traduction de l’italien : Teresa Maranzano
Relecture : Emilie D’Introno-Faviez