« Rien n’est plus à la mode que l’inclusion » affirme Sinéad Burke, CEO de l’entreprise Tilting the Lens spécialisée dans le conseil sur l’accessibilité.
L’infatigable activiste irlandaise signe avec Edward Enninful, directeur de British Vogue, le numéro de mai 2023 au titre ambitieux : « Reframing fashion. Dynamic, Daring and Disabled » (Recadrer la mode. Dynamique, audacieuse et avec un handicap). Les personnes en situation de handicap ayant participé à ce numéro amènent un nouveau regard sur la mode qui unit les thèmes de l’accessibilité, de la justice sociale, de l’équité et l’orgueil de la communauté. L’intersectionnalité a dicté le choix des cinq personnalités qui font la couverture de Vogue (Sinéad Burk, Selma Blair, Ellie Goldstein, Justina Miles et Aaron Rose Philip) ainsi que des 19 témoins issus du monde de l’art (Christine Sun Kim), du sport (Musa Motha), de la mode (Reuben Selby) et de l’activisme (Justina Miles). Le message des interviews vidéo réalisées pour le lancement de ce numéro spécial, surtitrées pour être plus accessibles, est que chaque handicap est différent. Dans l’ensemble, ces témoignages laissent entrevoir une nouvelle avant-garde de personnes handicapées et talentueuses.
Dans le magazine, la modèle Aaron Rose souligne que son handicap coïncide avec son identité de personne noire et transgenre, et que la notoriété de son profil Instagram a considérablement augmenté suite à sa participation au défilé Moschino en 2021. Sa présence sur les réseaux est devenue une forme de soutien pour la communauté trans. Dans ses propos revient souvent l’importance du sentiment d’appartenance, de se sentir accepté et bienvenu même dans l’une des plus importantes agences new-yorkaises, qui s’appelle, à juste titre, Community.
L’artiste sonore Christine Sum Kim décrit, quant à elle, sa tentative de traduire en langage sonore et en langue des signes américaine (ASL) le sentiment de solitude que ressent la plus grande partie des personnes sourdes. Elle souligne en outre l’importance, aussi politique, d’être bien vu et représenté.
En Angleterre, le groupe d’artistes et designers Trifle Studio, soutenu par l’association Into Art et composé de personnes avec différents handicaps cognitifs, connaît aujourd’hui un succès international et démontre la crédibilité du binôme créativité et handicap.
« Reframing Fashion » s’inscrit dans la continuité du numéro de British Vogue publié en septembre 2019 et intitulé « Forces for Change ». Ici, une personne de petite taille, Sinéad Burke, obtenait pour la première fois la couverture du plus important magazine de mode. L’activiste a poursuivi dans le temps le dialogue avec Edward Enninful, premier directeur noir, gay et avec un handicap auditif, qui a fait de l’inclusion la marque distinctive de British Vogue.
En 2008, Enninful avait été à l’origine du numéro de Vogue Italia « Black Issue » qui présentait des modèles noirs uniquement [1]. De son côté, Sinéad Burke s’est posé la question si, ces dernières années, la mode était devenue plus inclusive pour tout le monde ou seulement pour elle. Edward Enninful et Sinéad Burke ont décidé de concevoir ensemble un numéro de Vogue consacré au lien entre la mode et le handicap, afin d’encourager ce secteur à devenir accessible pour chaque personne dans tous les moments de la vie. Le changement envisagé va bien au-delà de la mode adaptive, d’un casting inclusif, ou d’un environnement accessible et sans barrière. Ce numéro se veut le point de départ d’un processus lent d’adaptation et de formation continue dans l’ensemble de la filière de la mode. Pour cette raison, tous les professionnels impliqués dans la production du numéro « Reframing Fashion » ont été formés par l’équipe de Tilting the Lens. Chaque personne invitée a pu lister les besoins particuliers liés à son handicap et à son bien-être, y compris la forme de l’interview (vidéo, audio ou écrite). L’étape suivante a consisté à élargir le public de Vogue, avec le lancement historique du premier magazine en braille.
L’Association anglaise pour les malvoyants Royal National Institut for Blind (RNIB) a rejoint l’équipe pour adapter les contenus des versions papier et audio, et les rendre accessibles à deux millions d’Anglais aveugles ou malvoyants.
Les critères d’accessibilité aux contenus ont également été pris en compte dans le choix graphique pour une plus grande lisibilité du numéro, dans un effort constant de conjuguer esthétisme et fonctionnalité. Ces innovations seront conservées tout au long de l’année 2023 et pourraient ouvrir de nouvelles voies.
Le récit des coulisses lors de la production de ce numéro spécial de Vogue nous apprend qu’aujourd’hui encore, une grande partie des studios photographiques à Londres ne sont pas équipés pour permettre à tout le monde de passer par l’entrée principale, et que ces espaces ne sont pas conçus pour répondre aux besoins particuliers des modèles en situation de handicap, au niveau des éclairages, de la musique, de la salle de maquillage ou des espaces de repos.
Pour Sinéad Burke, « l’accessibilité et l’inclusion du handicap sont une responsabilité et une opportunité pour tout le monde », mais on ne peut pas saisir cette opportunité si on ne partage pas des valeurs communes. Pour cette raison, le directeur de Vogue n’accepte plus les annonces publicitaires des marques qui ne partagent pas la représentation des personnes handicapées. Dans sa biographie, il rappelle que depuis les années 1990 à aujourd’hui, aucun magazine n’a voulu parler de diversité, si ce n’est de manière épisodique. Au contraire, pour Enninful il est fondamental d’utiliser la mode tel un miroir afin de représenter tous ceux qui en ont été historiquement exclus : « pour des raisons de race, de classe sociale, de condition économique, de morphologie, d’âge, de handicap, ou tout simplement parce que l’on a nié leur voix ».
Traduction de l’italien : Teresa Maranzano
Relecture : Emilie D’Introno Favier
[1] E. Enninful, A visible Man: A memoir, Penguin Putnam Inc., 2022
