Mode et inclusion 18 février 2021

Les origines américaines de la mode inclusive : The Functional Fashions Line et autres histoires

Écrit par Elisa Fulco

Comme dans toute histoire qui se respecte, il y a toujours un début. Un besoin ou un désir qui pousse vers le changement et l’innovation. On a tendance à oublier que, à l’origine de l’innovation, il y a souvent des solutions nées d’initiatives individuelles comme une réponse sociale à des problèmes spécifiques de la collectivité.

Pour parcourir l’histoire de la mode inclusive il faut se rendre aux États-Unis, se plonger à l’époque de la deuxième guerre mondiale dans l’expérience des vétérans et des « victimes civiles » de la poliomyélite : autant des personnes à remettre début, physiquement et psychologiquement.
La première « cellule » de mode conçue pour les personnes handicapées est née dans ce contexte au débout des années 1950, grâce à la rencontre entre le Docteur Howard A. Rusk, directeur du Département de Réhabilitation et de Médecine de l’Université de New-York, la designer en situation d’handicap Helen Cookman, et la responsable du laboratoire thérapeutique Muriel E. Zimmermann.
Dans ce Centre de Réhabilitation, les projets sur mesure sont encouragés comme une forme de thérapie : ils visent l’autonomisation des patients dans leurs gestes quotidiens de s’habiller et se déshabiller, et leur capacité à inventer des objets de « self help ». L’ensemble de ces inventions, créées pour et par des personnes handicapées, sera illustré dans le livre de Howard Russo et Eugene Taylor « Living with a disability » (1953).

Dans cette lancée, une marque de mode est créée en 1951 grâce à l’écoute de la communauté des personnes handicapées : la Functional Fashions Line, qui sera active jusqu’à 1975.
Il s’agit du premier projet dans l’histoire de la mode inclusive qui conjugue fonctionnalité et beauté, à travers un modèle de co-création où chaque élément est conçu par, avec et pour les personnes handicapées.
Modèle basé sur une réelle analyse de marché pour fournir des réponses pratiques.
Helena Cookmann et Muriel E. Zimmermann publient en 1961 le livre : « Functional Fashion for the Physically Handicapped ». On y retrouve les solutions principales telles que les poches ajoutées inventées par Helen Cookman pour y accueillir les lourdes batteries de son appareil acoustique, les manches modifiées pour les personnes en chaise roulante, les ajustements des vestes pour faciliter les mouvements, l’élimination des boutons, et bien d’autres expérimentations.

En 2019, le Milwaukee Art Museum a raconté étape par étape, à travers l’exposition Functional Fashions, cette aventure qui a duré vingt-cinq ans : depuis ses origines médicales jusqu’à son succès dans le monde de la mode.
En effet, la rencontre d’Helen Cookman avec Virginia Pope, responsable de la rubrique mode au New-York Times, marquera un tournant avec la création de la Clothing Research and Development Foundation.
Le catalogue de la Functional Fashions Line s’enrichit alors de nouvelles collaborations avec les stylistes les plus en vue (Pauline Trigère, Joseph Love, Vera Maxwell, Bonnie Cashin). Les habits « adaptés » sont présentés avec les produits les plus innovants du marché américain : praticité, rapidité pour enfiler les vêtements et disponibilité dans toutes les tailles sont les éléments incontournables.

Ces produits de qualité permettent aux femmes, aux hommes et aux enfants de vivre leur handicap avec style et dignité.
L’univers de l’habillement sportif, du vêtement informel, la recherche de matériaux innovants fusionnent de manière féconde avec la mode inclusive, faisant ressortir les points de contact plus que les différences.
Dans le catalogue de la Functional Fashions Line, on retrouve les figures clés de la mode américaine dont les habits ont fait date : le « Speed suit » en lycra de Vera Maxwell qu’on enfile en 17 seconds, le luxueux tailleur en tweed et bords en fourrure « Rugby suit » avec ses fermetures en velcro qui peut être porté par les femmes en fauteuil roulant, les vêtements « problem solving » de Bonnie Cashin caractérisés par des grandes poches et des fermetures éclair de type industriel particulièrement ergonomiques, ou sa fameuse jupe, grande comme celles du XVIIIème siècle, dont le tissu peut rentrer et sortir d’une poche.
La Functional Fashions Line diffuse une mode qui met tout le monde à l’aise, qui offre à toutes et à tous les mêmes possibilités de faire partie d’une communauté plus grande, de pouvoir partager les codes communs de la mode.

Dans les années 1970, Levis produit les jeans conçus vingt-ans auparavant par Helena Cookman, marquant ainsi l’entrée des personnes handicapées dans la « Jeans generation » et suscitant l’enthousiasme de ces nouveaux clients.
Ce succès sera le dernier épisode de la Function Fashions Line, qui termine avec le décès des deux fondatrices, Elena Cookman et Virginia Pope.
Une histoire souvent oubliée mais qui a laissé ses traces. Elles refont cycliquement surface chaque fois que les conditions idéales sont réunies : un.e styliste concerné.e par le handicap, une école de formation, ou une fondation avec des liens forts avec la mode.
Au final, le niveau de civilisation de notre société se mesure aussi avec la mode inclusive : les thèmes du choix et de l’accessibilité qui lui sont liés font partie des droits humains fondamentaux.

Exposition Functional Fashions au Milwaukee Art Museum

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