Mode et inclusion 13 août 2025

Des prothèses en bois aux membres artificiels. Être debout avec style

Écrit par Elisa Fulco

Elles sont réalisées en bois, en fer, en cuir ou avec des matériaux de récupération, elles sont dotées d’accessoires pour faciliter les actions quotidiennes telles que manger, s’habiller et se déplacer : les prothèses font partie de l’histoire de la médecine, de la technique, du design. Leur évolution se croise avec celle de l’histoire de la mode. Dans la plus grande partie des cas, elles sont la réponse à l’amputation des membres due aux conflits armés.

Le livre Artificial parts, practical lives : modern histories of prosthetics, publié en 2002 sous la direction de Katherine Ott, David Serlin et Stephen Mihm, retrace les origines des prothèses et les besoins auxquels elles répondent au fil du temps. Il montre aussi les différentes traditions des prototypes européens et états-uniens ainsi que les innovations dans ce domaine.
En 1930 déjà, le médecin Vittorio Putti présentait les modèles d’excellence dans son texte « Historic Artificial Limbs« . Et si on remonte le temps, à la moitié du XVIe siècle le chirurgien militaire Ambroise Paré s’était spécialisé dans la conception de membres hautement fonctionnels qui mimaient les mouvements réels, comme la première main mécanique réalisée grâce au savoir-faire des artisans de l’époque.

La plupart des recherches et des brevets sont de fait issus du domaine militaire. Aux États-Unis, dès la fin du XIXe siècle, le nombre croissant de vétérans a amené à la création d’une véritable industrie de la prothèse. Mais c’est dans la période entre les deux guerres mondiales que le handicap dû à l’amputation des membres devient un thème d’importance nationale qui coïncide avec la désinstitutionnalisation des personnes handicapées, leur réhabilitation et la reconnaissance de leurs droits civiques.
C’est dans ce contexte qu’en Angleterre et aux États-Unis les personnes amputées des membres deviennent conscientes de l’importance de bien s’habiller, d’avoir à disposition une large palette de vêtements susceptibles de garantir leur autonomie et leur empowerment. La fierté pour sa propre identité se manifeste par exemple dans les clichés photographiques de l’époque où les vétérans ne cachent plus les parties amputées de leur corps.

Cette tendance est aujourd’hui renforcée par le design inclusif, les technologies de support, la mode digitale et le recours au 3D dans la production de prothèses qui allient esthétique et fonctionnalité, et deviennent dès lors des objets à porter fièrement pour afficher sa propre identité et son style.

Dans les années 1990, les prothèses hi-tech en fibre de carbone de l’athlète paralympique Aimee Mullins ont marqué l’histoire, tout comme celles en bois sculpté que le styliste Alexander McQueen a fait réaliser pour elle. Dans le TED Talk de 2009, My 12 pairs of legs, Aimee Mullins déclare que la technologie et la poésie sont les clés pour changer le récit du handicap.

 

Cette nouvelle perspective est aussi au cœur de l’exposition Access+Ability présentée en 2018 au Cooper Hewitt Smithsonian Design Museum à New-York, où on a pu découvrir par exemple les prothèses de la marque canadienne Alleles, devenues célèbres pour leur revêtement original sur mesure aux patterns géométriques et aux couleurs vives. La possibilité de changer le revêtement permet une grande liberté d’expression et le passage d’un style à un autre.

 

Les couvertures des prothèses de la marque Alleles

La startup espagnole UNYQ, active depuis 2015 et spécialisée dans l’impression 3D, est devenue la référence globale pour la communauté des personnes amputées. Elle fournit des services sur mesure à ses client.e.s, les UNYQers. L’entreprise collabore de manière étroite avec des centres de réhabilitation internationaux : sur la base du retour des usagères et usagers, elle modifie ses prothèses pour mieux répondre à leurs besoins et activités. Tout en alliant esthétique et fonctionnalité, UNYQ s’engage dans la maîtrise des coûts de production pour rendre ses produits accessibles au plus grand nombre.

Les couvertures de prothèses UNYQ

En 2022, la startup Koalaa a été créée à Londres. Elle réalise des prothèses soft sur mesure que les personnes amputées peuvent utiliser dans le cadre de certaines activités telles que le sport, l’école et la cuisine. Il s’agit d’une version contemporaine la culture du Do it yourself qui a caractérisé l’évolution des prothèses.

Les prothèses soft de la marque Koalaa

Sophie de Olivera Barata, fondatrice de The Alternative Limb Project, dessine de son côté des prothèses comme des œuvres d’art, en collaboration avec l’entreprise anglaise Design Prosthetic. Ses clients sont des artistes, des musiciens, des performers ; ses prothèses sont aussi utilisées dans les jeux vidéo et d’autres contextes innovatifs où le handicap s’allie à la créativité.

 

Pour finir, l’entreprise alémanique Otto Bock, active depuis 1919, continue à innover et à simplifier le processus de production des prothèses, en ligne avec l’évolution technologique du domaine caractérisée par l’expérimentation constante de nouveaux matériaux et la recherche de nouvelles solutions.

Traduit de l’italien par Teresa Maranzano
Relu par Emilie D’Introno-Faviez

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