Mode et inclusion 13 novembre 2025

Sans limites. La mode selon Lorenzo Petrini

Écrit par Elisa Fulco

« I promised that always fight ». C’est un bel incipit pour cette interview. Parle-moi de toi.
Je suis un jeune homme de 26 ans. Je suis né avec une rare maladie neurodégénérative, l’amyotrophie spinale (SMA), qui me prive de la force musculaire, de la capacité de marcher, manger ou respirer, mais pas de l’envie de vivre et de transmettre du courage aux personnes qui m’entourent. Je me définis comme un combattant. J’aime la vie, je fais face tous les jours à des obstacles et je lutte contre les limites de ma maladie. Celle-ci représente donc ma normalité.

Comment est née ta passion pour la mode et de quelle manière elle a à faire avec ton handicap ?
Mes parents m’ont habitué à bien m’habiller, à faire attention aux habits que je porte. Si je regarde les photographies de mon enfance, je reconnais l’aspect soigné et un certain style qui me caractérise encore aujourd’hui. Je suis conscient que la manière de me présenter dépend beaucoup des vêtements que je porte. Comme les jeunes de mon âge, j’ai des préférences pour des produits et des marques. Pour moi la mode est un moyen d’expression, pour parler de moi-même et de mon histoire. Mais je reconnais son grand pouvoir médiatique, sa capacité de transmettre des messages sociaux susceptibles de générer du changement, à partir du handicap.

Quel message aimerais-tu que la mode véhicule ?
J’aimerais surtout qu’elle soit capable de normaliser le handicap, sans insister sur son exceptionnalité. J’aimerais voir sur les podiums plus de personnes comme moi, des modèles qui défilent en chaise roulante. Aux États-Unis et dans d’autres pays anglophones c’est plutôt courant. Je pense à des modèles comme Jillian Marcado et Aaron Rose Philipe, qui ont défilé pour Diesel, Moschino, et aux modèles des collections Adaptive de Tommy Hilfiger. En Italie il n’y a pas encore cette sensibilité et les défilés avec une chaise roulante ont souvent un caractère spontané et amateur qui ne desserve pas la cause.

© Diego Sbrolla

Qu’est-ce qu’il faudrait faire en Italie pour sensibiliser davantage sur ces thèmes ?
Je crois que la première chose serait de faire connaître les marques, les produits, les campagnes de communication qui ont été réalisées au niveau international. Il faut montrer tous ces exemples pour encourager ceux et celles qui voudraient s’investir dans ce domaine.

Le MoMA de New-York a fait l’acquisition de la tenue de Collina Strada portée par la modèle Aaron Rose Philipe, y compris le mannequin et le fauteuil roulant. Cette exemple va dans la direction de la normalisation, de la représentation du corps différent aussi dans la scénographie des musées. Depuis ton point d’observation, quelles sont les freins principaux pour les marques ?
Je crois que leur crainte principale est de se faire accuser d’exploiter le handicap. Aujourd’hui on parle beaucoup de social washing, mais au fond le handicap – tout comme la beauté – est une condition non choisie, je ne vois pas pourquoi il ne devrait pas être utilisé pour communiquer autour des produits et des services. Je veux faire partie de ce système. On ne prend jamais assez en considération notre désir d’être vus et représentés, exactement comme les autres. Nous ne sommes pas une exception et nous représentons une importante part du marché. La mode ne doit pas habiller seulement nos besoins mais aussi nos rêves.

Aujourd’hui on parle souvent de mode adaptive, de collections spéciales qui donnent des réponses particulières à certains types de handicap. Qu’est-ce qu’il manque dans le marché que tu aimerais trouver ?
J’aimerais pouvoir acheter des vêtements dans les collections qui existent déjà. Je ne veux pas une collection dédiée à moi, j’aimerais qu’elle soit conçue aussi pour moi. Le même sweat-shirt, le même pantalon, les mêmes chaussures. Ce qui arrive est que j’adapte moi-même les vêtements pour pouvoir les porter étant assis. Comme tout le monde, j’ai mes goûts, des préférences qui me caractérisent. Même pendant mes séjours à l’hôpital le fait de porter mon sweat-shirt préféré me faisait sentir bien, et je peux affirmer avec certitude que cela n’arrive pas qu’à moi.

Quelles marques tu aimes et quelles valeurs elles incarnent ?
Je suis passionné par les marques qui ont recherche et innovation dans leurs ADN. Des marques de sport qui expérimentent, qui maintiennent un style et une certaine authenticité dans le temps, comme C.P. Company et les créations de son fondateur Massimo Osti. Elles ont des caractéristiques qui m’intéressent. Ces vêtements sont beaux et fonctionnels, riches en détails et surprises. J’ai eu le plaisir de rencontrer Lorenzo Osti et d’échanger avec lui autour de ces thèmes et de l’ouverture de nouveaux marchés. Stone Island naît de la même recherche. J’apprécie aussi certains modèles de chaussures Adidas, les Gazelles sont celles que je préfère.

Lorenzo Petrini avec Lorenzo Osti, Président de C.P. Company

« Rien sur nous sans nous » est la devise de la communauté des personnes en situation de handicap. De quelle manière tu aimerais faire part de ce changement ?
Mon grand désir serait de défiler. Ce serait une expérience amusante pour me mettre en jeu, sans crainte. Peut-être un peu plus tard je pourrais imaginer de créer une start-up pour aider les entreprises à adapter leurs collections pour répondre à des exigences spécifiques. Le premier pas est devenir visibles, nous faire défiler, sans craindre le jugement.

Le thème du courage et de la liberté semble être important pour toi.
Je pense que les marques d’habits sportifs ont un grand potentiel d’expérimentation. Je partirais de ce secteur pour démarrer des collaborations avec des experts en situation de handicap, qui pourraient les conseiller dans la création de nouveaux produits qui s’inscriraient dans les collections déjà existantes. Je pourrais contribuer moi-même à la conception d’un habit qui correspond à mes caractéristiques physiques. Au fond, ce que j’aimerais transmettre est un esprit ouvert, naturellement inclusif, qui prend la liberté d’être sans limites.

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