Mode et inclusion 15 août 2021

Tout le monde à la plage, sans exclusion

Écrit par Elisa Fulco

Depuis toujours, le port du maillot de bain dans un lieu public représente la confrontation entre son propre corps et le regard des autres. C’est le thermomètre de l’acceptation sociale du corps réel qui échappe au canon.

Étroitement lié au thème de l’identité, car il met littéralement à nu stéréotypes et préjugés, le maillot de bain est un indicateur du niveau d’inclusion qu’une société peut atteindre, à travers le miroir de la mode.

Si le bikini est né, au début des années 1940, pour libérer le corps des femmes et promouvoir leur émancipation, il a été vite instrumentalisé pour représenter à chaque époque son idéal de beauté : du mythe de Venus aux formes généreuses au culte de Diane au physique maigre et performant, cette galerie d’icônes a laissé de côté les modèles over size, âgées, porteuses d’un handicap, d’origines différentes et de genre incertain.

Mais les corps niés ou effacés reviennent parfois.
Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, ils partent à la conquête de l’espace médiatique.

Cet été 2021, la marque de maillots de bain Summersalt s’est appropriée cette nouvelle tendance dans sa campagne de communication « Every Body Is a Summersalt Body ” (“Chaque corps est un corps Summersalt”). Elle présente 24 femmes entrepreneuses, sportives, activistes, influenceuses, d’origines, genres et habilités différentes.
Elles posent avec des maillots de bain colorés dans une galerie photographique qui souligne à quel point chaque corps mérite sa narration.
Parmi les personnalités sélectionnées, on reconnait l’influenceuse Hannah Bronfman, les joueuses de football Ashlyn Harris et Ali Krieger, l’athlète des Jeux para olympiques Chelsea Werner, et d’autres femmes engagées dans leurs propres domaines. Elles affichent une beauté qui défie les stéréotypes.

Mais de cet été 2021, on retiendra surtout la chute des anges de Victoria Secret, ces modèles aux proportions parfaites, Olympe féminin à taille unique, qui pendant 25 ans ont défilé en lingerie véhiculant un imaginaire érotique formaté au regard masculin, dur à éradiquer.

Le défilé de Rihanna de 2018, qui lançait sa collection de lingerie size-inclusive Savage x Fenty, portée par des femmes transgender, d’origine africaine, porteuses d’handicaps, enceintes, queers, taille 56, a sans doute contribué à rendre obsolète l’esthétique de Victoria Secret.

L’inversion de tendance du brand de Victoria Beckam révèle à quel point il est aujourd’hui nécessaire repenser les mythes fondateurs ayant bâti le monde de la mode, centrés sur un corps féminin lissé et sculpté à force de régimes et de gymnastique intensive.
Pour la première fois dans son histoire, Victoria Secret confie son image à sept femmes qui ne sont plus de simples modèles, mais aussi les portevoix et conseillères de la nouvelle vision de l’entreprise, où le rêve du corps idéal est remplacé par les valeurs liés à l’empowerment féminin. Parmi celles-ci, on reconnaît la joueuse de foot Megan Rapinoe, l’actrice Priyanka Chopra et la modèle plus size Paloma Elsesser.
Cette stratégie se poursuit à travers le Collectif Victoria Secret, composé essentiellement de femmes, qui va promouvoir de nouvelles politiques dans le monde du travail avec davantage de protection des droits des femmes, une communication plus inclusive, une offre élargie dans le sportswear et la création d’une collection dédiée à l’allaitement, où pour la première fois, la question de la maternité est abordée.

Derrière ce changement de cap il y a une décennie d’activisme et de luttes, souvent silencieuses, qui explosent à partir des années 2010, comme on peut le lire dans cet article de Vogue. C’est la diffusion de ce qu’on appelle la quatrième vague féministe, mobilisée pour représenter davantage les personnes exclues de la politique et du business, promouvoir la justice sociale et atteindre l’équité salariale entre hommes et femmes.

Un activisme qui a connu une accélération avec le mouvement  #meeToo et la génération Z, moins disposée à accepter discriminations et exclusions. Une révolution portée entre autres par les modèles plus size Paloma Elsesser et Ashley Graham, lesquelles ont ouvert la voie à d’importantes collaborations avec les marques les plus célèbres. Comme le rappelle la chanteuse Lizzo, la « body positivity » existe parce que la « body negativity » est la norme.

Parmi les brands qui ont misé sur l’inclusion, le palmarès va à la marque américaine de maillots de bains Chromat. Sa fondatrice Becca McCharen-Tran explique dans un Ted Talk pourquoi il faut célébrer tous les types de corps et de féminité. Le premier défilé en 2014 a proposé une manière différente de faire du casting et représenter la diversité. Une vision centrée sur la philosophie « rien sur nous sans nous », qui vise à impliquer activement le public-cible. Des personnes de diverses origines, non binaires, trans, ont intégré l’entreprise pour créer un nouvel imaginaire dépourvu de mystifications.

Comme la cofondatrice de Chromat l’affirme, il ne s’agit pas de compléter l’album de la mode socialement durable avec des modèles différentes : « La beauté n’est pas une taille unique. Nous voulons encourager toutes les femmes à se sentir à l’aise dans leur maillot de bain, quels que soient leur âge ou leurs mesures. Nous les invitons à profiter de tout ce que la vie peut leur offrir de plus amusant et jouissif ».

 

 

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