Porterons-nous, dans un futur proche, des habits conçus à partir de données numériques?
Nos habits seront-ils produits de manière digitale plutôt qu’à travers l’exploitation de ressources humaines et naturelles ?
Aujourd’hui, grâce à l’intelligence artificielle, la mode habille des identités différentes, dépassant les limites d’âges, d’habilités ou de genre. La mode digitale semble destinée à révolutionner le processus productif traditionnel, de l’idéation à la distribution, en le contraignant au passage à devenir plus inclusif.
Il s’agit là d’un nouvel écosystème numérique, défini par l’expert en marketing Philip Kotler “Onlife Fashion” [1], mélange de réalité et de virtuel qui se déploie à travers cinq forces : accéleration, hybridation, désintermédiation, durabilité et démocratisation. Be inclusif, be collaborative, be antifragile, font partie des dix nouvelles règles insufflées aux marques de mode afin qu’elles puissent évoluer dans un monde caractérisé par le manque de règles.
Gucci 3Dream, Tommy Hilfiger avec la start up Stitch, Prada, Curling : elles sont de plus en plus nombreuses les marques qui investissent dans le 3D (3D visualization, 3D body scanning, virtual try on tecnology). Elles introduisent des prototypes numériques pour optimiser les coûts, car la technologie 3D permet de faire des économies sur les matériaux, baisser la consommation d’eau et d’énergie, réduire les temps de production ainsi que les invendus. Une recherche menée par l’Imperial College de Londres [2] a montré que, par rapport aux systèmes productifs traditionnels, le passage au numérique réduit de manière considérable l’impact environnemental.
D’autre part, ces marques qui basculent dans le numérique s’adaptent ainsi à une inversion de tendance de la mode, où l’inclusion, l’équité, la représentation des différences, le dépassement des canons de beauté imposés, marquent le processus de démocratisation en cours.
Actuellement, il faut quelques heures à peine pour réaliser un prototype digital, ce qui permet de baisser de 60% les temps de production. Cela encourage aussi des processus collaboratifs et le travail à distance. L’utilisation des tissus conçus à travers l’intelligence artificielle accélère le processus d’adaptabilité des habits en prenant les mensurations de chaque personne qui nécessite de solutions spécifiques.
Une étude réalisée en 2019 par le groupe McKinsey [3] révèle que le 83% des professionnels de la mode souhaite privilégier les prototypes numériques d’ici 2025.
La start up néerlandaise The Fabricant est un modèle de référence de cette tendance.
Elle produit uniquement des habits numériques à travers un processus de co-création impliquant les usagers dans l’interprétation et personnalisation de chaque tenue. The Fabricant collabore désormais avec des marques prestigieuses telles que Puma ou Napapijri.
Ses habits, disponibles uniquement sur une plateforme virtuelle, sont présentés sous tous les points de vue dans un environnement immersif et narratif (défilés digitaux, gaming) qui améliore l’expérience d’achat, tout en limitant les erreurs de perception.
Ces habits peuvent être portés par toutes et tous, quelles que soient les caractéristiques physiques, d’âge, de genre ou d’orientation sexuelle. Ils offrent la possibilité de créer un “Life style” virtuel et permettent de renouveler sa propre image tout en limitant les effets néfastes de la surconsommation.
En 2020, The Fabricant a réalisé un sweatshirt à capuche exclusivement numérique et a collaboré avec la marque suedoise Carling. Celle-ci a mis à disposition les patterns du manteau “Intoxica” pour créer un garde robe numérique porté par sept activistes et influenceuses, dont la queer @enamasiama, dans la video Will you be wearing digital fashion in the near future? réalisée pour la revue I-d Magazine.
Comme l’affirme Sema Gedik, fondatrice de la start up At eye Level qui produit des habits sur mesure pour les petites personnes, si la mode est capable de créer des tendances, elle peut aussi produire des changements sociétaux, à condition d’y associer les personnes concernées dans une démarche inclusive.
Il suffit de garder à l’esprit l’incontournable formule : “Nothing about us without us”.
[1] Cf. : Philip Kotler, “Onlife Fashion”. Hoepli, 2021
[2] “The comparative LCA (Life Cycle assessment) of digital fashion and existing fashion system: is digital fashion a better fashion system for reducing environmental impacts?”
[3] Fashion’s new must-have: sustainable sourcing at scale.